TR: actes du forum de Brialmont: Christianisme et Europe / à  la veille des élections du Parlement Européen, des réflexions intéressantes et instructives sur la crise, l’Europe et son devenir

Conclusions par Pierre Defraigne

L’Europe rencontre aujourd’hui trois défis majeurs. D’abord l’unité même de l’UE reste menacée aussi longtemps que l’euro n’est pas, avec certitude, sorti d’affaire dans la mesure où la désintégration de l’eurozone signifierait la fragmentation du marché unique et la débandade des Etats. L’Europe se retrouverait alors comme une coalition lâche d’Etats, vulnérable devant la menace russe et désarmée devant la montée en puissance de la Chine. Cette Europe-là, incapable d’établir la parité politique souhaitable avec les Etats-Unis au sein de l’Alliance Atlantique, n’aurait alors plus d’autre option que de s’en remettre au leadership de Washington. Du coup, les sociétés européennes se trouveraient exposées à la corrosion par le modèle capitaliste américain, fortement matérialiste et inégalitaire et l’Europe se verrait entrainée dans la logique sécuritaire hasardeuse des Etats-Unis. Ensuite la démocratie tourne à vide en Europe. Elle est encore effective dans les Etats membres, mais ceux-ci n’ont plus la dimension pour interagir avec les marchés globaux et avec un monde multipolaire de telle sorte que le politique n’a plus prise sur l’évolution et perd dangereusement son crédit. Elle reste virtuelle au niveau de l’UE, faute d’un «démos» c’est-à-dire d’une opinion publique européenne, et faute d’unité politique; l’UE devenue intergouvernementale et bureautique, souffre à la fois d’inefficacité et d’un déficit de légitimité citoyenne. Enfin, et c’était le thème central du forum européen de Brialmont, la société démocratique fragilisée par la crise et «habitée» par le capitalisme et la technologie, est exposée, dans sa quête de l’insatiabilité matérielle et dans l’hubris inhérent au progrès technique, à une perte de repères et de sens qui conduiront immanquablement la démocratie à l’autodestruction, à travers le populisme vers des régimes autoritaires.

Le projet européen est en danger alors que l’insécurité gagne un monde qui bascule vers une Asie plus nombreuse et plus instable parce qu’elle est divisée par des conflits anciens et des rivalités nouvelles. L’Europe a la

bonne dimension à la fois pour nous sortir de la crise et pour nous protéger mais elle s’en révèle incapable faute d’unité politique. Elle n’a pas, au-delà du grand marché qui, du fait de la crise, voit dorénavant les économies diverger, un projet commun qui unirait les européens. Elle n’a pas non plus les outils nécessaires, c’est-à-dire la politique économique et la défense commune, pour le réaliser. Du coup, l’écart se creuse entre le citoyen et l’UE. Or, sans un «démos», c’est-à-dire un peuple européen rassemblé par la conscience d’une communauté de destin face à un monde instable et imprévisible, l’Europe ne pourra pas relever le double défi du chômage qui menace sa cohésion sociale et de sa sécurité pour laquelle elle ne peut plus s’en remettre aux Etats-Unis. En outre ceux-ci n’en ont plus les moyens et se tournent vers l’Asie où se jouent l’équilibre et la paix du monde. L’Europe doit donc davantage compter sur elle-même, et engager, sur un pied d’égalité, une coopération avec les autres puissances continentales, actuelles – Etats-Unis, Chine, Japon, Russie – ou en devenir – Inde, Indonésie, Brésil, Afrique du Sud, Nigéria. Sans «démos» européen, le pouvoir exercé collectivement par les Chefs d’Etat et de gouvernement européen, par les diplomates, et par les technocrates, restera ineffectif tandis que la légitimité démocratique de l’UE sera faible. Un seuil d’unité politique plus étroite, avec un gouvernement et système bicaméral fondé sur les Etats et sur les citoyens doit être franchi.

Comment faire naitre un démos européen? D’abord il faut rendre perceptibles les enjeux aux citoyens et les convaincre que seule l’Europe a la capacité de les traiter. Quels sont ces enjeux? D’un côté le fait que les forces du marché – les firmes globales qui constituent des oligopoles à l’échelle de la planète – sont désormais en mesure de mettre les Etats en concurrence sur leurs régimes réglementaires, leur fiscalité et sur leurs modèles sociaux; Mais une Europe unie pourrait renverser le rapport de forces avec le marché et de faire prévaloir une vision politique de la société sur la logique marchande. De l’autre, le fait que le monde multipolaire en émergence devrait être gouverné par le droit, mais qu’il risque de l’être-très dangereusement- à travers des rapports de force stratégiques. Une Europe unie pourrait peser dans le sens d’une gouvernance par la règle de droit pour autant qu’elle se dote d’une défense commune, car l’influence est indissociable de la puissance. Ensuite il faut renvoyer les citoyens à leur triple héritage civilisationnel au plan des valeurs: la dignité irréductible de l’homme et l’égalité de toutes les femmes et de tous les hommes en dignité que nous a légués le Judéo-Christianisme; la liberté fondée sur la raison critique apportée par les Lumières; la justice sociale, produit des luttes pour un partage équitable de la richesse produite par le capitalisme industriel et pour le droit de vote universel et qui a donné un contenu réel aux libertés et aux droits formels de la Déclaration des Droits de l’Homme. Ce socle à trois pieds fonde la

singularité de l’Europe par rapport au reste du monde. La conscience de cet acquis, fondée sur la raison, transcenderait les identités plus émotionnelles, associées à l’Etat-nation et à son Histoire.

Enfin il faut susciter un élan pour éveiller chez le citoyen à la fois la perception d’une communauté de destin face à l’avenir et au monde, et la mémoire civilisationnelle partagée pour baliser la route d’un vrai progrès humain, c’est-à-dire un progrès matériel et spirituel qui libère la femme et l’homme d’aujourd’hui. Cette libération lui ouvre la possibilité du choix de la Foi et de l’Amour qui en est la traduction. C’est ici que le travail entrepris à Brialmont le 2 Mars fait sens. La réflexion de Michel Molitor sur la quête des repères dans un monde en transformation, le témoignage de Michel Hansenne sur le rayonnement des communautés chrétiennes dans une société sécularisée, et l’invitation adressée par Armand Beauduin à l’Eglise et aux Chrétiens «à la manière de Jésus» de faire advenir l’Evangile dans le monde, nourrissent la réflexion pour mobiliser un «demos» européen. C’est

moins le magistère de l’Eglise institutionnelle que le témoignage des Chrétiens engagés dans la vie des hommes, et agissant comme un levain dans la pâte, qui peut faire renaître dans nos sociétés les ferments de résistance et de projets dont le «demos» européen a besoin pour se construire.

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